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ARN interférent : la révolution silencieuse

Cet article est extrait du premier exemplaire de « La lettre de OO7 ».

ARNm : ces quatre lettres sont désormais entrées dans le langage courant d’une société frappée de plein fouet par le virus de la Covid-19. Elles sont l’acronyme d’acides ribonucléiques messagers, qui permettent de copier l’ADN d’une cellule afin de synthétiser des protéines extracellulaires et constituent la base technologique et scientifique utilisée par certains vaccins covid. Les vaccins et thérapies à base d’ARN messagers dont nous entendons aujourd’hui beaucoup parler ne sont pas l’unique classe de ces nouveaux médicaments exploitant le mécanisme naturel de l’ARN. Les ARN interférents, moins connus que leurs cousins messagers ont, eux, pour but d’empêcher l’expression d’un gène en ciblant l’ARNm et en l’empêchant de provoquer la production d’une protéine ou d’une enzyme. Ceci permet de bloquer certaines maladies à la source même de leurs causes. 

La découverte de l’ARNi a été un événement scientifique majeur. Réalisée en 1998, elle a valu aux chercheurs Craig Mello et Andrew Fire d’obtenir en 2006 le prix Nobel de médecine. Le passage de la découverte scientifique à l’exploitation industrielle était cependant ardu : très fragile, l’ARNi a besoin, tout comme l’ARNm, d’être transporté dans le corps humain par des vecteurs. La biotech américain Alnylam a été un des laboratoires qui a su relever ce défi et développer une plateforme thérapeutique extrêmement prometteuse. Deux vecteurs ciblant les cellules hépatiques ont ainsi été utilisés : les nanoparticules lipidiques qui, validées avec l’ARNi, ont également servi à stabiliser les vaccins à ARNm, ainsi que le GalNac, un sucre qui a permis la mise au point de traitements qui, avec seulement 2 injections sous-cutanée par an, ont révolutionné la prise en charge de malades chroniques.

Ce développement lent, coûteux (le laboratoire a investi 3,5 milliards de dollars en recherche et développement au cours des 15 premières années, et ce sans le moindre revenu) a ouvert la voie à de véritables thérapies de rupture, notamment dans le champ des maladies rares ainsi que dans des maladies plus prévalentes et peut être à l’avenir dans des domaines tels que les maladies du système nerveux central, des maladies cardio-métaboliques ou en infectiologie. Le premier médicament à base d’ARN interférent mis à disposition ciblait l’amylose héréditaire, maladie rare et mortelle touchant les fibres nerveuses. Il a permis aux malades d’immenses gains en qualité de vie, du « jamais vu » selon le Pr David Adams, chef de service de neurologie à l’hôpital Bicêtre, interrogé par Sciences & Avenir en 2018[1].

La mise à disposition de ces thérapies innovantes basées sur une découverte fondamentale est une question d’ordre stratégique. En effet, à l’instar d’autres technologies, elle préfigure la médecine de demain pour les maladies chroniques, notamment parce qu’elle implique un changement de paradigme en termes de gestion de maladie et un impact transformatif. Cela nécessite de repenser le système d’accès au marché français au bénéfice d’une approche d’innovation ouverte, fondée sur la recherche de partenariats de long terme entres laboratoires, instituts de recherche, autorités et associations de patients.


[1] Sciences et Avenir, « Une « révolution » thérapeutique dans une maladie rare et mortelle : du « jamais vu » », 4 juillet 2018.